samedi 7 février 2009

Le malade - 4

Comme si ce bref face à face était une invitation, Clémentine contourna la voiture, ouvrit la portière droite, puis s'assit sur le siège passager. Elle s'était déplacée nonchalamment mais sans hésiter, avec une assurance tranquille qui amplifia la confusion de Martin. A peine tâtonna-t-elle une petite dizaine de secondes pour trouver la ceinture de sécurité afin de l'enrouler autour de son buste. Martin la regarda lisser sa jupe sur ses jambes, puis poser ses mains l'une sur l'autre dans une attitude vaguement féline. De toute évidence, elle patientait sagement, à la manière d'une actrice qui a joué son rôle et s'attend à ce que son partenaire joue le sien.

Martin bafouilla : "qui êtes... qu'est-ce que vous..." Il se reprit et bêla "mais..." "Il faut m'amener", expliqua-t-elle. "Mais où ?" "Où vous allez" répondit-elle spontanément. "Aux Urgences ?" Clémentine conclut posément : "voilà, c'est parfait". Martin n'avait pas la force de la questionner davantage... Seul ou avec cette fille, il irait au même endroit de toute façon. En commençant à rouler, il songea : "elle a une voix atone, une voix de ligne droite... Sa voix est... Sa voix ?" Cette révélation le fit freiner brusquement ; il s'exclama : "comment est-ce que j'ai pu vous entendre alors que je suis sourd depuis ce matin !" Il se retourna vers la jeune femme et répéta : "comment est-ce que j'ai pu vous entendre ?"
Clémentine esquissa un sourire sans froisser son visage. Martin était troublé par les commissures de ses lèvres qu'aucune virgule d'expression n'entourait ; il pensa : "on dirait un croissant de lune renversé, un croissant de lune rougeoyant, un croissant de lune rougeoyant en plein jour... Je déraille !" Clémentine, au lieu de parler, reprit une expression neutre.

Après tout, se dit Martin, mon infirmité a peut-être disparu aussi subitement qu'elle était survenue... Cependant, n'osant y croire par peur d'être déçu, c'est avec des mouvements saccadés de pantin qu'il leva ses mains. Avant qu'elles n'atteignent ses oreilles, Clémentine affirma : "c'est inutile." Martin s'immobilisa. Elle ajouta : "Vous connaissez le proverbe : certaines personnes n'ont pas besoin de s'entendre pour se comprendre". Alors que la réponse l'indifférait, il lui demanda : "il y a un proverbe qui dit ça ?"
En acquiesçant, Clémentine sortit de son sac un mouchoir blanc avec lequel elle essuya les traînées boueuses qui s'étalaient sur les joues de Martin, puis sur ses propres doigts. Elle chercha des yeux une poubelle mais constatant que l'arrière de la voiture était déjà tapissé de déchets, elle y jeta le papier maculé. Ensuite, elle saisit les bras de Martin pour les ramener à hauteur du volant, ajusta ses pieds au-dessus des pédales, avant d'ordonner : "il faut y aller maintenant, sinon le pont va s'effondrer".

7 commentaires:

  1. Ce n'est pas possible de rester là-dessus...c'est prenant. J'aime beaucoup le côté surréaliste. La suite...

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  2. c'est toujours aussi bien... la suite vite..!

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  3. Mais...
    il a aussi entendu le médecin, non ?

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  4. Mots d'Elle et Charlemagnet : je vous remercie. la suite devrait être écrite plus rapidement que précédemment.

    Dorham : non... C'était peut-être indiqué de manière trop subtile, mais le médecin a dû écrire ce qu'il pensait sur du papier pour se faire entendre : "devant l’air exaspéré de son interlocuteur, il s’empressa de saisir un stylo pour noter sa perplexité en majuscules sur une feuille de papier."

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  5. Ah, non, c'est bien clair... C'est moi, le problème du feuilleton sur blog ça, on focalise sur des trucs et on a la mémoire confuses des autres :)

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  6. Je pense que j'en suis responsable aussi, parce que laisser autant de temps entre chaque épisode ne doit pas aider la mémoire.

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  7. Le récit a pris une tournure complètement différente. Avant, c'était Le malade (n). Maintenant, c'est Le malade - n.

    L'histoire aurait pu finir vite si le pont s'était écroulé.

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