mardi 20 janvier 2009

Le malade (3)

S'il n'avait passé ne serait-ce que cinq minutes de plus face au rétroviseur, Martin aurait peut-être remarqué une femme penchée au dessus du coffre fermé. Celle-ci enfonçait son index droit dans la pâte composée d'eau, de terre et de poussière de la carrosserie pour tracer lentement des formes géométriques. De temps en temps, de l'autre main, elle repoussait la capuche trop large qui gênait sa visibilité, sans pour autant interrompre son dessin. Il y avait une certaine beauté dans la douceur et la continuité de ses gestes méticuleux. Cependant, absorbé par son propre reflet, Martin ne pouvait pas la voir.

De toute façon, personne n'était jamais attentif à la présence de Clémentine. D'ailleurs elle-même ne se prêtait aucune attention. Les passants la réduisaient à une ombre familière, or comment mémoriser une ombre indépendamment du corps qu'elle schématise ?
Clémentine possédait probablement une enveloppe corporelle puisqu'elle percevait le froid, le chaud, l'humide... Elle aimait lire les publicités collées dans les couloirs du métro, observer l'alignement des immeubles de béton, sentir l'odeur du désinfectant et de la javel, écouter le grondement du quai de gare à l'approche d'un train... Mais les impressions et les sensations glissaient sur sa peau. Elles ne formaient pas d'univers intérieur, et ne ricochaient pas sur le monde extérieur. Tel le son d'un instrument à cordes privé de caisse de résonance, ses traits, sa voix, son parfum étaient dépourvus d'intensité au point de s'estomper rapidement de la mémoire d'autrui.

Clémentine se recula légèrement. Imperturbable, elle contempla son œuvre : un labyrinthe de demi-cercles enchevêtrés. Ensuite, elle se dirigea à pas lents vers la portière avant, rejeta sa capuche rendue inutile par le ciel désormais sec, s'approcha de la vitre jusqu'à ce que son nez la touche, puis contempla l'intérieur du véhicule. Comme s'il l'avait entendu venir malgré sa surdité, Martin sursauta, releva la tête, et se retrouva face à un visage sans âge ni clarté.

12 commentaires:

  1. j'aime beaucoup ce monde étrange où tous nos repères habituels n'ont pas cours!

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  2. J'essaie de créer un monde assez étrange pour être intriguant, mais sans être complètement dépourvu de sens. Je ne sais pas si j'y parviendrai. En tout cas, ce commentaire me donne envie de continuer.

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  3. "Un labyrinthe de demi-cercles enchevêtrés." Ce bout de phrase prélevé résume assez bien le récit que vous nous proposez.

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  4. Bonjour,

    C'est le profil "Ecrivaillon" qui m'a interpellé, sous jacent derrière la fiction qui surréalise vaillement dans la maladie. Et l'illustration cela me geekblog bien.

    Bon démarrage, à bientôt.

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  5. Moody : ah bon !? Et dire que je me demandais quel sens pouvaient avoir ces demi-cercles ! J'ai presque envie de vous proposer d'écrire la suite à ma place...

    SiL : bonjour,

    "Surréalise vaillement" : c'est très bien vu.
    Quant à l'illustration, j'ignore à qui appartient ce bureau (mon clavier est un peu moins sordide en réalité). Je l'ai choisie pour deux raisons : d'une part l'environnement représenté m'est familier, d'autre part je trouve qu'elle s'accorde bien avec l'aspect "brouillon" de mon écriture d'écrivaillon.

    Merci, à bientôt

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  6. La pâte de la carrosserie... On va s'effondrer en un petit tas de poussière vaguement humide si tu continues... ou plutôt si tu ne continues pas...
    grrrrgrrrrgrrr...

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  7. *sourire*
    C'est encourageant...
    Ma semaine a été trop remplie pour que je puisse continuer, mais ça va venir d'un jour à l'autre !

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  8. Et si je vous prenais aux mots ?!! :-)

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  9. Je persiste.
    Très joli 3ème épisode. Il y a quelque chose de plus incertain, là, quelque chose de plus diffus.

    Celui-là précisément, j'aime beaucoup...

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  10. Moody : ce serait amusant !

    Dorham : merci infiniment, ce commentaire me fait vraiment plaisir.

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  11. J'ai lu les 3 textes à la suite...ça me plait beaucoup! On espère que ce monde n'est pas le notre...mais il lui ressemble tant! La minutie des détails est impressionnante. Bravo!

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  12. Oh... J'en rougis, surtout après avoir lu ces beaux "Mots d'Elle". Je ne sais que dire à part "merci", mais ma reconnaissance est sincère.

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