mercredi 14 janvier 2009

Le malade (1)

« Je n’ai rien constaté d’anormal au début, en dehors de l’heure indiquée par le réveil. J’ai supposé qu’il s’était déréglé, comme tout ce qui nous entoure en ce moment. En y repensant, j’aurais dû m’étonner du silence de mes pas sur le parquet puisque d’habitude les lattes grincent au moindre de mes mouvements, mais je ne me sentais pas encore réel, vous savez quand on vient de se lever... Je me suis rendu compte que la situation était inhabituelle en prenant ma douche : l’eau ne faisait aucun bruit. Spontanément, j’ai voulu enfoncer un doigt dans mes oreilles, au cas où celles-ci se seraient bouchées, mais il n’y avait que de la peau à la place des trous. J’avais l’impression de toucher la paume de ma main. Je ne sais pas combien de fois j’ai tâté mes oreilles, du contour au centre, je n’arrivais pas à y croire. Ensuite, pensant vivre un rêve, je me suis meurtri le corps avec des pincements puis de l’eau bouillante mais… Je ne me réveillais pas. Alors je suis venu vous voir. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »

« Je… Je n’ai jamais vu ça », murmura le médecin. Devant l’air exaspéré de son interlocuteur, il s’empressa de saisir un stylo pour noter sa perplexité en majuscules sur une feuille de papier. Son visage reflétait un mélange de stupéfaction, de fascination et de dégoût. Cependant, il continuait à ausculter son patient, cherchant un indice dans sa gorge et dans sa tension. Après avoir examiné une dernière fois ses oreilles monstrueuses, il recula, comme s’il craignait d’être contaminé à son tour par cette aberration physique. Du fond de la pièce, adossé au mur, serrant compulsivement le dossier de son fauteuil en cuir, il secoua négativement la tête, même s’il savait que le malade exigeait une explication plus détaillée. « Que dois-je faire ? » répéta celui-ci. Après un bref silence, le médecin écrivit : « allez aux urgences ».

Voyant que son patient sortait un chéquier, il lui fit signe qu’il était inutile de payer cette consultation. Celui-ci remit son manteau, dit « au revoir » à son docteur sur un ton étrangement empreint de culpabilité, puis sortit rapidement. Longtemps après que la porte se soit refermée, le médecin bredouilla machinalement « au revoir » en tremblant. Ses mains moites avaient créé des auréoles sur le dossier de son fauteuil. Il se tourna vers la fenêtre, comme pour chercher une réponse extérieure. Durant plusieurs minutes, il contempla d’un regard absent la boue déversée par les nuages, tout en touchant machinalement ses oreilles.

Pendant ce temps...

7 commentaires:

  1. Un nouveau blog... Qui commence bien !

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  2. Merci infiniment ! En espérant ne pas décevoir par la suite...

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  3. Le médecin sortit d'un tiroir une boite métallique joliment décorée qu'il ouvrit. Il y avait dedans des ongles et des bouts de peau sèche. Le docteur y plongea la main et remua les déchets organiques avec délectation tout en restant songeur.

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  4. Chouette,
    on attend la suite.

    Il n'y a pas tant de "récits" que ça sur le net, à proprement parler je veux dire...

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  5. Poussin d'or : l'idée n'est pas mauvaise du tout ! Enfin pour le moment je ne veux qu'un seul "freak" dans mon histoire.

    Dorham : chouette, un lecteur, et en plus un lecteur qui possède une très belle écriture (je découvre cette "Traviata-punk" avec plaisir).

    En effet, les blogs contenant de purs "récits" ne sont pas les plus nombreux. Cela dit, ceux que j'ai visité jusqu'à présent sont souvent passionnants.

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  6. serait-ce le fils d'Elephant Man? j'attends la suite avec intérêt.

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  7. Je ne crois pas : c'est un homme tout à fait normal par rapport à Elephant Man... Sa disgrâce physique est bien plus discrète que celle d'Elephant Man.

    Merci pour cet intérêt (et pour le lien que je viens de voir en cliquant sur la "page personnelle" du profil associé au commentaire, page personnelle que j'irais visiter plus en détails d'ailleurs).

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