De toute façon, personne n'était jamais attentif à la présence de Clémentine. D'ailleurs elle-même ne se prêtait aucune attention. Les passants la réduisaient à une ombre familière, or comment mémoriser une ombre indépendamment du corps qu'elle schématise ?
Clémentine possédait probablement une enveloppe corporelle puisqu'elle percevait le froid, le chaud, l'humide... Elle aimait lire les publicités collées dans les couloirs du métro, observer l'alignement des immeubles de béton, sentir l'odeur du désinfectant et de la javel, écouter le grondement du quai de gare à l'approche d'un train... Mais les impressions et les sensations glissaient sur sa peau. Elles ne formaient pas d'univers intérieur, et ne ricochaient pas sur le monde extérieur. Tel le son d'un instrument à cordes privé de caisse de résonance, ses traits, sa voix, son parfum étaient dépourvus d'intensité au point de s'estomper rapidement de la mémoire d'autrui.
Clémentine se recula légèrement. Imperturbable, elle contempla son œuvre : un labyrinthe de demi-cercles enchevêtrés. Ensuite, elle se dirigea à pas lents vers la portière avant, rejeta sa capuche rendue inutile par le ciel désormais sec, s'approcha de la vitre jusqu'à ce que son nez la touche, puis contempla l'intérieur du véhicule. Comme s'il l'avait entendu venir malgré sa surdité, Martin sursauta, releva la tête, et se retrouva face à un visage sans âge ni clarté.